L’Epoque Gallo-Romaine
Vers l’an 70 avant J-C, le chef germain Arioviste franchit le Rhin pour s’établir en Haute-Alsace. Douze ans plus tard, le préconsul romain Jules César entreprit la conquête de la gaule et battit Arioviste à l’Ochsenfeld près de Cernay. Avant la bataille, les deux chefs de guerre eurent une entrevue en 58 avant J-C dans une vaste plaine, sur un tertre assez élevé qui pourrait fort bien avoir été le « Hundsrûcken », un tumulus aujourd’hui comblé de la forêt communale au nord d’Ensisheim. Mais on ne peut pas l’affirmer avec certitude.
Sous la domination romaine, l’Alsace connut une période de grande prospérité, l’agriculture, l’industrie et le commerce se développèrent. Trois grandes routes furent construites qui traversaient l’Alsace du nord au sud. Celles du Rhin, de l’Ill, des Vosges. La route de l’Ill entrait en Alsace près de Bâle. Elle reliait Argentoraria August près de Bâle à Horbourg en passant par la Hardt, Rixheim et Battenheim. Cette voie empruntait le ban de Réguisheim et est encore connue, de nos jours sous les noms de « Römerstrasse », Altstraessle » ou « Schwitzerstraessle ».
Les trois grandes routes romaines communiquaient entre elles par des chemins de traverses, qui permettaient également l’accès aux vallées vosgiennes. Ces chemins portaient les noms de Schlaässelweg, Koestel ou Kastelgraben doit probablement son origine à la proximité d’un de ces chemins.
La « Mattländergasse » semble aussi d’origine romaine. Ce nom pourrait signifier le Chemin des prés. Or le ban de Réguisheim comptait plutôt des terrains de culture que des prés. Cette dénomination pourrait être une déformation de « Marländergasse » le chemin des Milanais ou bien « Maialandergasse, les champs de une déesse romaine fort en Alsace. Une quatrième origine, que nous citerons plus loin pourrait être plus vraisemblable.
Les romains fortifièrent notre province en édifiant le long du Rhin et leurs voies des constructions de bois et de terres entourées de fossés et de palissades. A l’emplacement de la « vieille tour romane » actuelle s’élevait certainement une des cent vigies que l’empereur romain Valentinien fit ériger le long de la voie romaine et qui servaient de tours de guet. Les fouilles effectuées en 1859 ont permis de mettre à jour des tombes gallo-romaines. C’est à l’ombre de cette tour que nos ancêtres ont posé les premières pierres du village et se sont établis.
Après Louis le Germanique, l’Alsace fit partie d’un grand duché souabe et se disloqua en un grand nombre de seigneuries ecclésiastiques et laïques. Petites guerres féodales, épidémies, calamités publiques désolèrent la contrée. Les Habsbourg avaient les plus grosses possessions.
Le village appartenait tour à tour aux ducs d’Autriche, au diocèse de Bâle et aux comtes de Ferrette, à différents couvents et à d’autres seigneuries.
Les Invasions à l’époque franque
En 420 après J-C, les Alamans franchirent le Rhin et envahirent notre province en la pillant. Sous le règne de Clovis et de ses successeurs, les ducs francs commandèrent en Alsace. Au 7ème et 8ème siècle de nombreux couvents furent fondés : Hohenbourg – Murbach. C’est le temps de Sainte-Odile. Mais c’est seulement sous Charlemagne que notre province retrouva son calme. En 870 Louis le Germain acquit l’Alsace.
Des sarcophages de l’époque mérovingienne ont été trouvés en 1959 près de l’Eglise actuelle avec les tombes gallo-romaines. En 1807 déjà une vingtaine de monuments funéraires, en dalles à auge, datant de l’époque franque ont été découverts au Sud-Est et au Nord-Est de la tour. Un cercueil en pierre, déterré au cours de l’hiver 1930-1940 a été démoli en 1946.
Il est possible que la Matländergasse (Mailändergasse) date de l’époque de Charlemagne. L’empereur convoquait en effet tous les printemps au mois de mai les Grands de l’Empire, laïcs et ecclésiastiques, pour dénombrer les guerriers et juger les procès importants. Ces réunions étaient appelées « Champ de Mai » (Mailand), et les Carolingiens en tenaient à Ensisheim et à Meyenheim.
C’est à cette époque qu’apparaît pour la première fois dans les documents le nom du village. D’après une chronique d’Ebersmünster, le couvent de cette localité possédait des biens au 7ème siècle in Sarmenza in banno Regensheim, pour lesquels ils prélevaient la dîme. Dans un document de 817, adressé par Louis le Pieux, roi de France, à l’abbaye d’Ebersheim, il est question de la chapelle de Sarmenza dans le ban de « Regensheim ». Quelle est l’origine du nom du village ? Il peut se composer du préfixe « re » de provenance celtique, qui signifie la demeure, et du suffixe « heim » que les alamans en 420 ajoutèrent au nom de toutes les localités. Le nom semble aussi pouvoir provenir du préfixe « Regis » qui vient du nom latin Rex qui veut dire le roi et auquel les Alamans ont accroché le suffixe « heim ». Sa signification est alors la maison du roi, on peut admettre qu’il se trouvait sur notre territoire une propriété des rois Francs.
A l’époque mérovingienne, le village était propriété des Eticonides, dont faisait partie la famille de Sainte Odile et qui avaient fondé le couvent de Saint Etienne. C’est pour cette raison que Saint Etienne a sans doute été choisi comme patron de l’Eglise. Un fait est certain, le fief « Lehen » de Réguisheim existait dans ces temps anciens.
De la féodalité à la liberté
Le fief de Réguisheim (Lehen)
De 817 à 1200 ? L’abbaye de Murbach détenait le village c’est la TOUR ROMANE qui est incontestablement la marque caractéristique de Réguisheim. Erigé à l’emplacement même de l’ancienne vigie romaine, cet édifice, classé monument historique, présente les caractères de l’architecture romane du 12ème siècle, avec ses voûtes superposées, ses croisées géminées et ses fenêtres en plein cintre, et dénote l’influence de l’abbaye de Murbach.
Bâtie en grès rose, la forme carrée, la construction dresse ses quatre étages massifs à une hauteur d’environ 50 m d’où les cigognes dominent la plaine. La voûte du rez-de-chaussée subsiste encore. L’intérieur est creux. Un escalier étroit pratiqué dans les épaisses murailles permet d’accéder aux étages supérieurs. Trois croisées regardent vers l’Est, deux vers le Nord et deux vers le Sud. L’Ouest, du côté de l’Ill en est dépourvu. Un fossé qu’on pouvait remplir d’eau défendait cette façade, qui a été attaquée par le fer et le feu, détruite et reconstruite avec des briques cuites sur place, comme en témoignent les fouilles effectuées à cet endroit. Aussi ne trouve-t-on que deux meurtrières au 3ème étage de la façade Est qui son dirigées de haut en bas. Ce qui permet de supposer qu’à l’époque, l’Eglise n’était pas encore contiguë à la tour. Au temps des petites guerres féodales, elle servait certainement de tour de guet. Selon toute probabilité, aucun seigneur n’y a jamais habité. L’aménagement intérieur prouve qu’initialement la construction ne comportait pas de pièce d’habitation et qu’elle n’a jamais dû servir de clocher.
Après 1200, la localité devint propriété du Comte de Ferrette. Un document de 1303 rapporte que « In dem Dorf ze Regensheim hat man genommen in gemeinen iarn (Jahren) 96 Daz (180 Doppelzentner) geschah (Weizen), in der cit di sce waren das graen (Grafen) von Phirt (Pfirt). Die Herrschaft hat sich in demselben dorf ein Dirghof. In demselben hof höret (gehören) XX Hueben (Huben = ungefähr 180 bis 200 Hecktar) ». Johanna, dernière héritière des Comtes de Ferrette épousa en 1312 le duc de Habsbourg Albrecht II et Réguisheim devint domaine autrichien. Les Habsbourg y avaient une cour colongère (Binghof). Une cour colongère était un tribunal qui réglait les différents nés du pacte colonger. Ce tribunal était composé du propriétaire de la colonge (président) et des autres colongers (assesseurs). La colonge était une communauté rurale dans l’Alsace du Moyen Age qui comprenait des granges, des habitations, écuries avec des terres concédées à des preneurs (Huber) moyennant le paiement du cens ou de prestations annuelles. Il semble qu’un Dinghof était installé dans la propriété voisine de la Tour. Cet immeuble est encore nommé par la population la maison des « Zehntel Herren » et la cave est appelée « cave de la dîme ».
Le fief de Réguisheim passa tour à tour aux nobles de Rodersdorf et en 1361 à ceux de Masevaux qui le cédèrent pour 190 marks d’argent aux Staufen. En 1478, il est aux mains de Hamam de Reinach. A la mort de ce dernier en 1497, il fut confié à Gaspard de Moesstag (Mörsperg). Un parchemin conservé à la mairie, datant du 26 septembre 1528 portant un cachet vert de la mairie de Réguisheim avec les trois cœurs adressé à Monsieur BOCKEL, curé de Réguisheim, fait état d’un jugement rendu en première instance à Ensisheim et confirmé par la Régence d’Insprugg en faveur de la commune de Réguisheim au sujet du péage ou pontenage contre Jean Comte de Mörsperg (Morimont) et de Belfort.
En 1534 am 7 Brachmonat, un dimanche, au cours de la nuit, un terrible incendie ravagea le village, « welcher gäldingen demassen um sich gefressen, dass in kurzer zeit 30 fürsten in die Aschen sind gelegt worden ». Un chroniqueur de Guebwiller ajoute que 5 enfants, une femme et un domestique furent « elendiglich verbrunnen ». La misère fut grande après cet incendie.
En 1555, les Autrichiens vendirent « Regelsheim » pour 6200 florins aux puissants seigneurs de Bollwiller, disparus au début de la guerre de Trente Ans. La fille du dernier descendant des Bollwiller, Marguerite apporta tous les biens de la famille en dot à Johann Ernst Fugger en 1616. Ce descendant des riches banquiers anoblis par les Habsbourg, allié des Impériaux dut quitter le pays en 1619 déjà au début de la guerre des Suédois (1618-1648).
Jamais la Haute Alsace n’avait subi de catastrophe comparable à cette époque d’occupation suédoise. Les ruines s’accumulaient sur le passage de cette armée. Les paysans alsaciens leur livrèrent une guerre de partisans et désiraient l’intervention de la France. Les allemands (Impériaux) battirent finalement les Suédois qui abandonnèrent le pays à la France. Le traité de Westphalie signé en 1648 réunit l’Alsace et la France. Notre village fut détruit en 1640 par les Suédois. En 1622 déjà, les « Oberstaufische Reiter » le pillèrent et incendièrent les ponts de l’Ill de Réguisheim et Meyenheim. Quelques rares maisons ainsi que la Tour Romane furent épargnés. A cette époque, l’Ill coulait plus près du village et suivait la rue de l’Ill actuelle. De petites maisons de serfs étaient construites sur le rivage. Après la guerre des Suédois, les habitants ont ramassé tellement de têtes de morts au bord de la rivière qu’on nomme encore de nos jours cette rue la « Schadelgasse », la rue des crânes.
Après la conquête de l’Alsace par Louis 14, le roi de France donna le 19 avril 1729, la baronnie de Bollwiller aux Suédois Comte Reinhold von Rosen qui avait passé avec ses troupes aux côtés des français. En 1739, Louis 15 éleva cette baronnie au rang de marquisat, dont Réguisheim fit partie jusqu’à la Révolution française. A partir de 1789, le village est libre et possède sa propre administration.
En 1778, le chœur et la nef de l’église actuelle ont été bâtis. Ils étaient entourés d’un cimetière qui occupait l’emplacement actuel de la mairie.
Histoire du Blason
Depuis le 10 novembre 1814, les trois cœurs remplacent l’emblème du lion. Ils symbolisent l’union contractée entre les deux seules héritières de la commune se Sermensheim et la population de Réguisheim qui les accueillit quand sévissait en Alsace la peste noire au début du XIVe siècle.
C’est en effet vers cette époque que se situerait, selon la tradition populaire, l’évènement le plus émouvant et le plus bouleversant de l’histoire de Sermensheim. Cette bourgade était située entre Réguisheim et Munschhouse au croisement des routes actuelles Ensisheim-Hirtzfelden et Réguisheim-Munchhouse. Les tombes découvertes au Sud-Ouest de ce croisement au début du 19ème siècle, ainsi qu’un ilot de terre noire, le cimetière, émergeant de la glèbe sablonneuse et caillouteuse de cette région alors fertile ne permettent aucun doute sur l’existence de ce village. Mentionné dans des documents anciens, son nom fut également porté par une petite famille noble. Une croix de bois fixée à un petit oratoire est érigée à l’emplacement du cimetière, et le puits communal est les seuls vestiges du village disparu.
Une tradition orale, consignée dans les archives de la commune nous renseigne sur cette terrible catastrophe. Concernant la ci-devant commune de Sermensheim détruite par la peste noire en 1304……la peste noire ayant tué tous les habitants de la commune à l’exception de deux filles âgées de 15 et 18 ans, lesquelles se sont présentées à Ensisheim pour s’y réfugier. L’entrée dans cette ville leur fut refusée. Elles se présentèrent alors à Réguisheim où elles furent bien reçues et convenablement traitées, logées et nourries. A la suite de cette bonne réception, elles léguèrent tout leur banlieu (La Harthe) aux citoyens et habitants de Réguisheim. Ces terrains légués ont été, par la suite, partagés entre les bourgeois de Réguisheim à la jouissance viagère, « à la condition que chaque usufruitier payât sa quotte part des contributions à l’Etat, de son lot qu’il avait viagèrement en jouissance…. ».
Dans son appendice aux notes historiques sur Réguisheim déposé le 30 juillet 1863 aux archives de la commune de Réguisheim, Charles Knoll, médecin vétérinaire à Soultz, fils du rédacteur de la Tradition populaire écrit : « ….un village a dû exister dans ces lieux, car les traces du cimetière que mon père a vues attestaient une assez forte population. D’après toutes les apparences, ce village n’a pas été détruit par les Suédois, car avant leur arrivée (1630), il n’existait plus…. Par contre, nous avons tout lieu de penser que cette localité fut anéantie par la peste…. Le fait est que la peste sévissait fortement en Alsace en 1538… C’est à cette époque que ce fait mentionné ci-dessus (l’histoire des deux survivantes) a dû se passer…. ».
Quoiqu’il en soit, à la mort des deux vielles filles, la commune de Réguisheim hérita du ban de Sermensheim. Dès lors, le village put faire figurer sur ses armories les trois cœurs rouges.